La méthode immersive, née au Canada dans les années 1960, correspond à la première génération d’enseignement bilingue identifiée par la recherche. Ce modèle didactique adopte un point de vue monolingue et vise à accroître la compétence langagière des apprenants en augmentant leur exposition à la langue cible : c’est celle-là qui, dès lors, est exclusivement utilisée en classe par l’enseignant, les élèves étant encouragés également en ce sens. L’enseignant conçoit son cours à partir de contenus qui proviennent en partie des disciplines dites "non linguistiques", selon une approche communicative de la langue, ce qui donne une place essentielle à la tâche et rend l’apprentissage de la langue implicite. Autrement dit, dans ce modèle, la langue est un moyen de communication au service d’un contenu disciplinaire. Pour accomplir les tâches qui leur sont proposées lorsque leurs moyens linguistiques sont limités, les élèves sont amenés à développer rapidement leur compétence stratégique (2), qui implique "la capacité d’adapter ses stratégies de communication (verbales et non verbales) à la diversité des relations interpersonnelles et la faculté de réagir à des événements souvent imprévus" (3) et qui permet par exemple de combler des lacunes grammaticales. De fait, la compétence linguistique des élèves, c’est-à-dire "la capacité à reconnaître les éléments lexicaux, morphologiques, syntaxiques et phonologiques d’une langue et [à] les combiner pour former des mots et des phrases", progresse peu, car les propriétés formelles de la langue cible sont peu, voire pas travaillées. Pour cette raison principale, le modèle a peu à peu laissé la place à une approche de type CLIL (Content and Language Integrated Learning).
Une autre méthode, correspondant à une deuxième génération d’enseignement bilingue, a vu le jour en Amérique du Nord dans le cadre des programmes d’immersion réciproque (dual-language ou two-way immersion) (4), avant de se développer avec succès en Europe dans les années 1990 sous l’acronyme CLIL (Content and Language Integrated Learning). Cette méthode, comme la précédente, cible l’augmentation de la compétence langagière des élèves, mais souhaite également favoriser une plus grande réflexion sur la langue. Pour y parvenir, l’enseignant met en œuvre une approche dite "fonctionnelle-analytique" : il s’agit de ne plus seulement focaliser sur le contenu mais de mettre au même plan l’acquisition des concepts disciplinaires et celle de la langue. En classe, la langue est ainsi à la fois un objet d’apprentissage (les élèves font donc évoluer leur compétence morphosyntaxique) et un outil d’appropriation des savoirs disciplinaires. Si les contenus travaillés par les apprenants relèvent de la discipline dite non linguistique, les procédés d’enseignement proviennent, eux, aussi bien de la didactique de la discipline que de la didactique des langues, avec des variations possibles selon que la priorité est donnée plutôt au contenu ou plutôt à la langue. Sur un continuum (5), Myriam Met place d’un côté des enseignements de langue axés sur un contenu disciplinaire (content-driven language programmes), où l’apprentissage de la langue cible est secondaire ; c’est le modèle qu’adoptent par exemple aujourd’hui les dispositifs d’immersion totale ou partielle (6). De l’autre côté, on trouve des enseignements de contenu axés sur la langue (language-driven content programmes), où le contenu est utilisé d’abord pour apprendre la langue cible. Comme le souligne Gabriela Steffen, ce modèle a largement été influencé par "les cadres théoriques du socioconstructivisme" (7) : le savoir se construit dans un cadre social, dans des situations d’interactions sociales, et le rôle qu’y joue le langage est crucial.
Les réflexions didactiques les plus récentes approfondissent la question de l’intégration de la langue cible et des contenus disciplinaires et contribuent au développement d’une troisième génération d’enseignement bilingue. Tandis que les précédentes méthodes avaient pour objectif principal d’augmenter la compétence langagière des apprenants, ce nouveau modèle adopte un nouveau point de vue, qui est celui de la discipline : il s’agit d’abord de transmettre des contenus disciplinaires, par le biais d’une langue cible, en usant d’une didactique propre à la discipline concernée. Hugo Baetens Beardsmore a proposé le sigle "EMILE" (Enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère) pour définir cette nouvelle méthode et souligner son caractère innovant (8), qui postule que le travail en et par deux langues permet d’enrichir les connaissances disciplinaires (9). Cette didactique bilingue et intégrée (le travail s’effectue sur les langues en contact, qui sont des outils de médiation pour conceptualiser les savoirs disciplinaires) affirme que "le plurilinguisme est non seulement le but de l’apprentissage mais également une ressource pour l’apprentissage" et incite l’enseignant à s’appuyer sur les "ressources discursives plurilingues et [les] processus d’acquisition révélés par les activités discursives qui ont lieu en classe", comme l’explique Gabriela Steffen (10). Du point de vue linguistique, on cherche en priorité à renforcer chez les élèves la langue propre aux enseignements disciplinaires et au contexte scolaire (CALP) (11). Cette méthode se fonde sur une approche socio-interactionniste et plurilingue de l’acquisition de la langue, qui invite à considérer les situations dans lesquelles se déroulent les apprentissages (principe de contextualisation) et les interactions qui ont lieu dans la classe entre les acteurs en présence. En décloisonnant les langues, on rend possible les synergies et les transferts, qui sont essentiels. Pour y parvenir réellement, il est nécessaire de mettre en place une alternance des langues raisonnée, telle que la défend Jean Duverger (12).
À la différence des méthodes CLIL et EMILE qui privilégient un apprentissage simultané en langue maternelle et en langue(s) étrangère(s), la pédagogie convergente repose sur un modèle didactique de bilinguisme consécutif. Michel Wambach (13) a montré qu’elle s’est construite dans le cadre de recherches-actions menées principalement en Europe (Belgique, Slovénie notamment) et en Afrique de l’Ouest (Mali puis pays partenaires de l’initiative Écoles et langues nationales en Afrique - ELAN).
Cette approche donne la priorité à la langue première de l’élève dans le processus d’apprentissage scolaire, tout en favorisant progressivement les activités de transfert et de réinvestissement des compétences en langue étrangère. Comme l’explique Joseph Poth, l’enseignant doit s’attacher ainsi à "partir du connu pour aller vers l’inconnu", dans la mesure où c’est "la langue maternelle qui garantit le décollage intellectuel de l’enfant dès le début de la scolarité". Il doit surtout rechercher une cohérence pédagogique dans son approche des différentes langues, pour faciliter le passage de la langue première ou maternelle (parfois nationale) d’une part, à la langue étrangère d’autre part. Il s’agit par ailleurs de veiller à la progressivité des apprentissages en n’introduisant la langue étrangère dans le parcours de l’élève que lorsque celui-ci a acquis une maîtrise suffisante de la langue première, en particulier à l’écrit. Pour cela, la langue première constitue aussi bien une matière d’enseignement qu’un outil de communication en début de scolarité. Dans un second temps, la langue étrangère est introduite avec un horaire progressivement plus important, jusqu’à atteindre une répartition équilibrée dans l’emploi du temps des élèves. Cette méthode d’apprentissage permet ainsi de construire un bilinguisme que l’on qualifie de "consécutif", de valoriser tant les langues que les cultures nationales dans des contextes multilingues, et de mieux intégrer l’école à l’environnement de l’apprenant.
Notes